29 mars 2009

Articles de Sylvie Plane & Christian Puren

Deux articles de réflexion publiés sur Internet (CNFDE) :


Sylvie PLANE


Je rappelle un autre élément à prendre en compte au sujet de la place de la place du concours et de la durée du cursus :


Il nous a été dit par le ministère qu'en mettant le concours en M2, il permettrait ainsi que les enseignants soient considérés comme recrutés à un niveau plus élevé et qu'ils pourraient alors bénéficier d'une revalorisation indiciaire. Cet argument est inexact sur le plan juridique. Que le concours soit placé en M1 ou qu'il soit placé en M2, les conditions de diplôme permettant de s'y présenter sont toujours les mêmes : le diplôme nécessaire pour se présenter au concours demeure dans un cas comme dans l'autre la licence. En effet, le "M1" n'est pas un diplôme. La chose serait différente si le concours se passait à l'issue du master, c'est-à-dire en 6° année d'études supérieures. Mais cette hypothèse n'est pas viable pour l'ensemble des concours (1). En revanche il faut distinguer : le niveau de diplôme exigé pour passer le concours et le niveau de diplôme exigé pour être recruté. Puisqu'il est dit qu'il faudra désormais un master pour être recruté, cela devrait être pris en compte pour la revalorisation et peu importe, juridiquement, que le concours soit placé en M1 ou en M2. Ce sont donc des considérations pédagogiques qui doivent nous amener à opter pour le concours en M1 ou en M2 et non la perspective d'une revalorisation de carrière, puisqu'elle ne dépend pas de la place du concours dans le master.


(1) En imaginant que le concours ait lieu à l'issue du master, la poursuite de cette sixième année d'étude supérieure ne pourrait être combinée avec le statut de fonctionnaire stagiaire, car cette position statutaire dépend de la réussite au concours. Autrement dit, le cursus serait le suivant : 5 ans d'études supérieures pour obtenir un master, un an de préparation au concours, un an en position de stagiaire, puis titularisation, d'où 7 années avant d'être titularisé, coût des études, incidence sur la carrière... Fin de carrière à quel âge ?


Christian PUREN

Sylvie Plane écrit qu'il faut distinguer "le niveau de diplôme exigé pour
passer le concours et le niveau de diplôme exigé pour être recruté". Oui, mais il faut préciser en même temps que si dans la plupart des formations professionnalisantes (écoles d'ingénieurs, écoles d'infirmières, facultés de médecine,...), la sélection se fait en début de cursus, c'est 1) pour que l'argent dépensé par l'Etat dans le temps de la formation professionnelle (qui est de loin la plus coûteuse) soit rentabilisé au mieux grâce à un taux d'échec résiduel, et 2) pour que la formation au métier en alternance se fasse, parce qu'elle se situe après la sélection, dans les conditions de sérénité et de concentration qui lui sont indispensables. L'intérêt économique et l'intérêt pédagogique se rejoignent pour une fois clairement, saluons l'événement, sonnons trompettes, et bétonnons sur le principe!

L'un des risques structurels de ce type de dispositif est que la sélection précoce ne se fasse pas principalement, parce qu'elle est précoce, sur des critères professionnels (un cas caricatural en étant la sélection à la fin de 1e année des études de médecine...), et c'est pourquoi il est indispensable 1) de généraliser les UE (avec stages) de pré-professionnalisation en licence, et 2) d'intégrer une part significative d'épreuves de type professionnel en M1. Je viens de publier sur le site de l'APLV

(http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article2325)

un compte rendu d'enquête réalisée sur place sur le système scolaire et de formation finlandais, où on peut lire que pour la sélection des futurs enseignants de langue maternelle, "les épreuves de sciences de l’éducation sont presque aussi importantes que leur propre discipline ; la répartition des crédits est la suivante : études pédagogiques des enseignants : 25 ECTS en études de base – pédagogie-, 35 ECTS en études de leur propre discipline."

L'une des manies françaises (n° 1, je vais en signaler quelques autres à la suite...) semble bien être, lorsqu'il y a insuffisance avérée ou déclarée des résultats (cf. les plaintes récurrentes sur le niveau des étudiants dans les rapports des jurys de concours), "d'en rajouter" au lieu d'optimiser: c'est le "réflexe encyclopédiste". Un concours à l'issue du Master (M2, donc) permettrait peut-être aux filières universitaires de préparation académique d'augmenter leurs heures de cours, mais d'une part cette inflation de contenus académiques risquerait de creuser encore plus la distance entre la formation universitaire et la formation professionnelle (d'autant moins prise en compte que plus retardée), d'autre part il faut quand même rappeler que la formation professionnelle des enseignants n'a pas
pour vocation à servir au fonctionnement de l'université : c'est l'inverse.

C'est très bien qu'il y ait actuellement un front uni contre les réformes Pécresse-Darcos, mais il ne peut occulter qu'il existe entre la "culture" collective des universités et celle des IUFM des divergences fondamentales dans la conception de la formation professionnelle des enseignants en France, ainsi que des intérêts fondamentalement divergents.

Avec l'intégration en amont du concours et au concours lui-même de contenus de type professionnel, une autre manière d'augmenter la qualité de la formation sans en rajouter encore, est de reporter sur la première année en poste (PE3, PLP3, PLC3) la rédaction du mémoire et un certain nombre de cours "théoriques" de formation pédagogique et didactique, qui gagneraient en intérêt aux yeux des nouveaux enseignants s'ils étaient proposés à un moment - leur titularisation étant acquise et un minimum d'assurance personnelle étant acquise dans la pratique professionnelle -, où ils se trouvent en mesure de commencer à se poser eux-mêmes des questions plus générales et abstraites.

Une autre déplorable manie française en effet (n° 2) est de commencer par le plus général et le plus abstrait au titre que ce seraient "les bases" sur lesquelles devraient se fonder les pratiques. Mais on confond ainsi le point d'arrivée avec la route, le résultat avec la manière d'y parvenir, le produit avec le processus, la formation d'un enseignant avec ses compétences finalement acquises. A l'IUFM de Paris, où je suis arrivé un an après sa création et où j'ai enseigné la didactique des langues pendant 10 ans (1992-2001), j'ai assisté à la réduction progressive des "conférences de tronc commun" (sur la psychologie de l'apprentissage et la philosophie de l'éducation, par exemple) considérées a priori (et légitimement) comme indispensables pour tous les enseignants quelle que soit leur discipline.

Elles sont indispensables, effectivement. Mais si elles étaient
indispensables et que pourtant elles étaient rejetées massivement par les étudiants en IUFM, la seule explication est évidente, et le remède tout trouvé: elles étaient mal placées dans le cursus, elles arrivaient trop tôt, comme "la charrue avant les bœufs", suivant l'expression consacrée. Parce qu'en fait ce n'est pas la "théorie" qui tire la "pratique" dans un processus de formation professionnelle, c'est l'inverse : ce sont les questions que les stagiaires se posent dans leurs pratiques, et elles seules, qui peuvent les motiver à "remonter" à des considérations "théoriques".

Je suis donc favorable pour ma part à reporter après la titularisation toute
cette partie de la formation qui n'est efficace que si le nouvel enseignant à acquis un minimum d'expérience et d'assurance professionnelles qui lui permettent de se poser des questions de type "méta" par rapport à sa pratique, ou du moins d'être ouvert à ce type de problématiques qui se situent au-delà de la simple "manière de faire": la maturation naturelle d'un professionnel passe sans doute par les questions de référence successives suivantes: 1) comment? 2) quoi? 3) pourquoi? Une autre manie française (n° 3) est ce rationalisme abstrait qui inverse complètement cet ordre chronologique de la relation théorie-pratique dans la conception des cursus de formation professionnelle. Tout formateur d'IUFM a pu constater la grande différence qualitative entre des mémoires professionnels conçus et rédigés avant ou après une expérience significative d'enseignement.

Dans certains pays européens (l'Espagne, par exemple), la promotion de
carrière des enseignants dépend de leur assistance (non obligatoire) à des stages, colloques et autres rencontres pédagogiques. Pourquoi (j'ai été adhérent du SNES puis du SNESUP avant mon actuelle retraite cette année, horresco referens, donc...), pourquoi ne pas imaginer que les promotions dans le grade, dans les toutes premières années de carrière, soient liées à la soutenance d'un mémoire professionnel, avec une priorité / un "plus" voire une obligation accordé à des projets collectifs ?

C'est une autre manie française en effet (n° 4) que de considérer que l'évaluation des enseignants est forcément individuelle, alors même qu'on leur demande de former leurs élèves aux valeurs citoyennes de responsabilité collective et de solidarité, c'est-à-dire (dites-moi si je me trompe) à être efficaces collectivement.

Et pourquoi ne pas laisser aux jeunes titulaires une marge de manœuvre personnelle d'évolution professionnelle dans les premières années de leur carrière (liée à ce mémoire professionnel de M2, puis à un doctorat, pour ceux qui le souhaiteraient, de recherche en fonction de leur personnalité, facilités ou difficultés personnelles et/ou professionnelles, choix de vie, etc.: les promotions dans le grade seraient en partie liées à la validation de ces travaux de recherche. Une autre manie française (n° 5), dont je ne sais s'il faut l'attribuer aux séquelles du judéo-christianisme, du jacobinisme ou du maxisme-léninisme - peu importe mais le résultat est là - est de penser que l'intérêt collectif exigerait que tous poursuivent le même objectif en étant évalués en même temps sur les mêmes critères.

Je suis parfaitement conscient et des procès d'intention et des récupérations auxquels mon discours peut donner lieu. Mais je suis intimement persuadé que dans le contexte européen et mondial actuel, « il faut agir, sous peine de dépérir, il faut affronter les courants, sous peine d'être laissé au rivage, comme une épave. Aussi un enseignement national qui ne serait pas résolument moderne par la substance et par l'esprit ne serait-il pas simplement un anachronisme; il deviendrait un péril national.

» C'est une citation de Louis Liard, Vice-Recteur de l'Académie de Paris,
dans un discours prononcé à l'ouverture du Conseil académique de Paris le 26 novembre 1902 (mille neuf cent deux). L'obtention pour l'année prochaine du statu quo pour la formation des enseignants sera sans doute une victoire française contre les réformes proposées par ce Gouvernement français, mais ce serait une erreur historique d'en rester là, et de ne pas transformer immédiatement cette dynamique d'opposition française en une dynamique de proposition européenne.

Christian Puren
Professeur émérite de l'Université Jean Monnet (Saint-Etienne, France)
Président d'Honneur de l'Association française des Professeurs de Langues
Vivantes (APLV) Directeur éditorial du site www.aplv-langues.modernes.org